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François-Xavier Bellamy : «Le passe vaccinal ou la poursuite du délitement de l’État de droit»

Par François-Xavier Bellamy
François-Xavier Bellamy. (c) François BOUCHON/Le Figaro.

TRIBUNE – Sans remettre en question la nécessité de la vaccination pour prévenir les formes graves de la maladie, le député européen LR estime que la mise en place du passe vaccinal est désastreuse pour les libertés publiques, l’égalité en droit et l’amitié civique.

Nous y voilà donc : alors que le «passe sanitaire» est désormais nécessaire pour les actes les plus quotidiens comme les plus essentiels, il devrait devenir bientôt un «passe vaccinal». Avec un peu de recul, le spectacle des reniements gouvernementaux donne le vertige : en février, Emmanuel Macron garantissait qu’il «ne conditionnerait pas l’accès à certains lieux à la vaccination». En mai, cette condition était imposée, mais seulement pour les «grands rassemblements» de plus de 1000 personnes. En juillet, le passe sanitaire était exigé dans les trains ou les cafés – mais Olivier Véran jurait qu’il aurait disparu «au plus tard en novembre».  En décembre, la restriction est renforcée.

Bien sûr, il est hors de question de nier la réalité de l’épidémie et son évolution difficilement prévisible, qui oblige tous les gouvernements à faire face à l’incertitude. Et bien sûr, écrivons-le de  nouveau puisque le dogmatisme au pouvoir voudrait faire de toute réticence un obscurantisme aveugle, il n’est pas question non plus de nier l’utilité de la vaccination pour prévenir les formes graves de cette maladie, Cette efficacité, qui sans être infaillible est absolument incontestable, doit conduire à vacciner en priorité tous ceux qui risquent ces formes graves. En la matière, avec encore plusieurs millions de personnes vulnérables non vaccinées, la France accuse un retard sérieux sur ses voisins européens. Il faut dire que nous avons l’un des seuls gouvernements qui, plutôt que de se concentrer sur cet objectif essentiel, se préoccupe d’interdire de boire un café debout ou de consommer du pop-corn. (Disons ici notre soutien aux policiers et gendarmes, envoyés hier pour empêcher les plaisanciers de s’asseoir sur les plages, qui ne devaient être fréquentées qu’en «mode dynamique » ; et qui partiront demain en mission pour contrôler que personne n’est debout dans les bars…)

Avec un peu de recul, le spectacle des reniements gouvernementaux donne le vertige.

Ce nouveau passe ne contribuera pas non plus à la vaccination des plus vulnérables, en particulier des aînés : ils constituent près de 95 % des victimes  du coronavirus – rappelons que l’âge moyen des personnes décédées est de 82 ans. On mesure là tout le génie de cette mesure : plus on a besoin d’être vacciné, moins on a besoin d’un passe vaccinal… Il est peu probable que les septuagénaires qui n’ont pas été rejoints jusque-là par la campagne de vaccination finissent par franchir le pas de peur de ne plus pouvoir sortir en boîte de nuit. Du point de vue de la gestion de l’épidémie, le gouvernement ne peut donc que manquer l’objectif essentiel. Mais tout cela est en fait très logique ; car ce que révèle ce nouveau revirement, c’est que le passe vaccinal comme le passe sanitaire depuis le début ne sont pas des mesures sanitaires. Ce que nous disions dès juillet est aujourd’hui rendu incontestable par le fait que le gouvernement refuse désormais de prendre en compte un test négatif pour établir ce passe. Si l’objectif était de limiter la circulation du virus dans des lieux précis, un test négatif est pourtant bien plus efficace pour cela qu’une preuve de vaccination, puisque ni deux ni trois doses – ni même quatre ou cinq demain… – n’empêchent d’être contaminé et contagieux. Il est donc totalement irrationnel que le premier ministre ose accuser les Français non vaccinés de «non-assistance à personne en danger », comme si eux seuls diffusaient le virus… De fait, en réduisant le passe sanitaire au vaccin, le gouvernement ne réduit en rien le risque de contamination là où il est exigé ; il ne fait que contraindre les Français à une vaccination que la loi n’a pourtant jamais rendue obligatoire. Sur ce point, une mention spéciale doit d’ailleurs être réservée au Conseil d’État, qui a sombré dans l’indignité en se reniant lui-même avec une servilité littéralement pitoyable. En juillet, il avait admis le principe du passe sanitaire à la condition expresse qu’un test négatif permettrait son obtention – sans quoi, écrivait-il, il ne s’agirait plus d’une mesure de protection, mais d’une incitation vaccinale dissimulée. Ne pas délivrer ce passe à des personnes prouvant pourtant qu’elles sont indemnes du Covid constituerait, écrivaient les magistrats, «une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et familiale ». Quelques mois plus tard, les mêmes magistrats viennent d’approuver la mesure précise qu’ils interdisaient, et de bénir ainsi l’enterrement de ces principes fondamentaux…

Ce qui disparaît, c’est une règle essentielle pour l’État de droit, résumée ainsi par notre Constitution : «Nul ne peut être contraint de faire ce que la loi n’ordonne pas. » Avec le passe vaccinal, le gouvernement tombe dans une contradiction désastreuse pour les libertés publiques, l’égalité en droit et l’amitié civique. Il s’agit en effet de dire que la vaccination n’est pas obligatoire, mais que ceux qui ne s’y plient pas sont quand même coupables, et qu’il devient par conséquent légitime d’accuser, de blâmer, de brimer, de punir, de priver même de droits absolument fondamentaux des concitoyens qui ne se sont pourtant soustraits à aucune obligation légale. Le gouvernement pense-t-il pouvoir arrêter l’épidémie par la vaccination généralisée, en dépit des préconisations de l’OMS, des expériences acquises ailleurs dans le monde, et de la survenue de cette cinquième vague dans un pays déjà massivement vacciné ? S’il le pensait, il assumerait de rendre cette vaccination obligatoire par la loi. S’il ne le fait pas, c’est qu’il se contente de désigner des boucs émissaires pour justifier une crise hospitalière dont il est, en réalité, l’un des premiers responsables, avec ses prédécesseurs. La situation ne serait pas si dramatique pour les soignants héroïques qui affrontent cette épidémie si ce gouvernement n’avait pas fermé des lits et laissé l’hôpital perdre encore de nombreux personnels formés, au milieu même de la crise.

En attendant, la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal trahit la folie de la logique dans laquelle nous entrons, qui se vérifie à ses conséquences déjà manifestes sur notre droit : alors que le scrupule du droit à la vie privée justifiait jusque-là d’interdire aux policiers municipaux tout contrôle d’identité, le serveur d’un bistro demandera maintenant votre passeport pour vous servir une limonade… Le Parlement peut bien se plier, les autorités judiciaires se renier, l’opinion elle-même s’endormir, il faut maintenir ce principe, jusqu’à ce qu’ait lieu une prise de conscience désormais vitale. En démocratie, la souveraineté du peuple s’exprime par la loi qui oblige, non par la contrainte déguisée. Elle garantit que la liberté est la règle, non l’exception ; et elle reconnaît que les droits fondamentaux ne sont pas une concession de l’État attribuée pour bonne conduite. Vaccinés ou non, nous avons aujourd’hui tous le devoir de rappeler quelques évidences en danger.

Source : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/francois-xavier-bellamy-le-passe-vaccinal-ou-la-poursuite-du-delitement-de-l-etat-de-droit-20211228

Article originellement publié sur Le Figaro le 29 décembre 2021.

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