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Sceptique face aux rapports de la science médicale ?

Cet article constitue un éditorial publié dans La Revue vétérinaire canadienne, Can Vet J. 2015 oct ; 56(10): 1011-1012.

Par Carlton Gyles

« Il n’est tout simplement plus possible de croire une grande partie de la recherche clinique qui est publiée, ni de se fier au jugement de médecins de confiance ou à des directives médicales faisant autorité. Je ne prends aucun plaisir à cette conclusion, à laquelle je suis arrivée lentement et à contrecœur au cours de mes deux décennies en tant que rédactrice en chef du New England Journal of Medicine (1). »

Marcia Angell.

Plus récemment, Richard Horton, rédacteur en chef de The Lancet, a écrit que :

« les arguments contre la science sont clairs : une grande partie de la littérature scientifique, peut-être la moitié, est tout simplement fausse. Affligée par des études portant sur des échantillons de petite taille, des effets minuscules, des analyses exploratoires invalides et des conflits d’intérêts flagrants, ainsi que par l’obsession de poursuivre des tendances à la mode d’une importance douteuse, la science a pris un virage vers les ténèbres (2). »

Richard Horton, rédacteur en chef de The Lancet.

Le premier de ces deux commentaires sur les publications de recherche clinique est paru en 2009, le second en avril de cette année [Note VP : 2015]. Ces déclarations sont prises au sérieux, car elles proviennent de l’expérience des rédacteurs en chef de deux des revues médicales les plus prestigieuses du monde. Le premier article montrait comment les relations entre les entreprises pharmaceutiques et les médecins universitaires de prestigieuses universités avaient un impact sur certaines publications liées aux médicaments et sur la commercialisation des médicaments sur ordonnance. Les conflits d’intérêts potentiels semblaient abonder : des millions de dollars d’honoraires de consultations et d’interventions versés à des médecins qui faisaient la promotion de certains médicaments, des fonds de recherche publics utilisés par un chercheur pour tester un médicament appartenant à une société dont le chercheur détenait des millions de dollars d’actions, l’incapacité des chercheurs universitaires à divulguer leurs revenus provenant des sociétés pharmaceutiques, les subventions des sociétés à la formation continue des médecins, la publication de directives de pratique concernant des médicaments pour lesquels les auteurs ont un intérêt financier, l’utilisation de médecins influents pour promouvoir des médicaments à des fins non approuvées, le parti pris en faveur d’un produit résultant de la non-publication de résultats négatifs et de la publication répétée de résultats positifs sous différentes formes. L’auteur, Marcia Angell, cite le cas d’un géant pharmaceutique qui a dû accepter un réglement à l’amiable après avoir été accusé d’avoir délibérément dissimulé des preuves que son antidépresseur le plus vendu était inefficace et pouvait être dangereux pour certains groupes d’âge (1).

Les commentaires de Marcia Angell (1) étaient largement dirigés contre les conflits d’intérêts et les biais introduits par l’influence des entreprises pharmaceutiques sur les chercheurs et les universités. La déclaration de Richard Horton (2) faisait partie de ses commentaires sur un récent symposium sur la fiabilité et la reproductibilité de la recherche dans les sciences biomédicales et aborde un domaine de préoccupation plus large. Certains des problèmes qu’il a identifiés se retrouvent dans la littérature vétérinaire. Ils comprennent un nombre insuffisant de sujets dans l’étude, une mauvaise conception de l’étude et des conflits d’intérêts potentiels. Il note que la quête du facteur d’impact maximal des revues alimente la concurrence pour la publication dans quelques revues de grande réputation. Il met en garde contre le fait que « notre amour de « l’importance » pollue la littérature avec de nombreux contes de fées statistiques » et il remarque que les rédacteurs en chef des revues, les évaluateurs et les organismes subventionnaires insistent tous sur les études originales au point de « rejeter les confirmations importantes » (2).

Les personnes et les organisations considérées comme responsables de l’état actuel de la science médicale publiée comprennent les chercheurs, les rédacteurs de revues, les évaluateurs, les organismes subventionnaires et les gouvernements. Horton poursuit sa réflexion en se demandant si les mauvaises pratiques peuvent être corrigées (2). Il conclut que les scientifiques sont incités à être productifs et innovants, mais pas à avoir raison. Il réfléchit à la suppression des incitatifs, à l’accent sur la collaboration plutôt que sur la concurrence, à l’amélioration de la formation à la recherche et du mentorat, au financement d’études qui tentent de reproduire les données publiées. Horton conclut en notant que c’est une bonne première étape que de reconnaître les problèmes, mais que personne ne semble prêt à s’atteler à la tâche de renverser la vapeur.

Les revues cliniques telles que The Canadian Veterinary Journal sont moins touchées par la lutte pour obtenir le meilleur facteur d’impact, car l’impact principal que nous cherchons à avoir concerne la communauté des praticiens cliniques, plutôt que la communauté des chercheurs (le facteur d’impact de la revue est basé sur l’impact sur la communauté des chercheurs). Néanmoins, nous partageons certains des problèmes évoqués ci-dessus. La faiblesse la plus grave est peut-être le nombre insuffisant d’échantillons dans certaines études. Ces études sont parfois acceptées parce qu’elles peuvent avoir une certaine valeur si l’on prend soin de reconnaître les limites associées à une taille d’échantillons inadéquate. Le message à retenir est que les lecteurs doivent faire preuve de prudence dans l’interprétation de la littérature publiée, quelle que soit la réputation de la revue dans laquelle se trouve un article.

Références

1. Angell M. Drug Companies & Doctors: A Story of Corruption. The New York Review of Books magazine. [Dernière consultation le 5 août 2015]. Disponible ici : http://www.nybooks.com/articles/archives/2009/jan/15/drug-companies-doctorsa-story-of-corruption/

2. Horton R. Offline: What is medicine’s 5 sigma? [Dernière consultation le 5 août 2015]. www.thelancet.com. Disponible ici : http://www.thelancet.com/pdfs/journals/lancet/PIIS0140-6736%2815%2960696-1.pdf.

Source : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4572812/


A propos de l’auteur

Carlton Gyles est un éminent professeur de pathobiologie vétérinaire à l’université de Guelph au Canada, qui a apporté tout au long de sa vie une contribution exceptionnelle à la compréhension des mécanismes par lesquels la bactérie Escherichia coli provoque des maladies chez les animaux et les êtres humains. Il est l’une des autorités mondiales en la matière et a été sollicité tout au long de sa carrière en tant que conseiller auprès d’étudiants diplômés, dont beaucoup ont poursuivi une brillante carrière. Sa défense de la science et les conseils avisés pour lesquels il est connu sont illustrés par son rôle de leader au sein du Réseau canadien de recherche sur les maladies bactériennes du porc et de l’Institut canadien de recherche sur la sécurité alimentaire.


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