Yuval Harari et sa vision de l’Homo deus
Par Monireth PEK
L’historien et professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem Yuval Harari présente dans son livre Homo deus : Une brève histoire de l’avenir [1], un livre à succès planétaire, une fresque de l’histoire de l’humanité telle qu’il l’envisage selon sa perspective transhumaniste.
Yuval Harari est convaincu que l’homme est devenu Home sapiens après des millions d’années d’évolution biologique darwinienne opérant par la sélection naturelle et guidée par l’objectif de la survie du plus fort.
Extrapolant à partir de 70 000 ans d’histoire de l’humanité, les prédictions de Harari sont sombres, dystopiques et inquiétantes. Mais elles ont fait des adeptes parmi les grands noms de l’industrie, de la politique et de la science, dont Barack Obama, Mark Zuckerberg, Bill Gates, Daniel Kahneman et Jared Diamond.
Dans la fresque prospective qu’il esquisse, Harari fait un certain nombre de prédictions, mais voici celles qui méritent l’attention.
Les humains deviendront des dieux. L’Homo Sapiens (l’homme sage) évoluera vers l’Homo deus (l’homme dieu), avec une maîtrise divine de son environnement et la capacité de créer (et de détruire) la vie.
Le bien-être et la santé domineront. Les problèmes de survie humaine (pandémies, famines et violences) étant résolus, les humains se concentreront de plus en plus sur la recherche de l’immortalité (bien-être) et du bonheur durable, comme s’ils étaient des dieux. Dans cette personne, la filiale Calico de Google a pour modeste mission de résoudre le problème de l’immortalité.
La mort de l’humanisme. La religion dominante du XXIe siècle – l’humanisme (qui célèbre l’intelligence humaine, l’expérience humaine (sensations, émotions et pensées) et les valeurs humaines) – sera érodée par les progrès de la science et de la technologie. Plus précisément, les sciences humaines remettront en question la supériorité et l’exceptionnalisme humains implicites dans l’humanisme, y compris les croyances erronées dans le caractère unique de la sensibilité humaine (sentiments), de la sapience humaine (raison) et du libre arbitre. Nous ne sommes que des animaux dotés d’un complexe divin.
La montée du techno-humanisme. Dans leur quête d’immortalité et de bonheur, les humains se tourneront vers la technologie pour s’améliorer grâce au génie biologique (génétique), au génie cyborg (bionique) et au génie informatique (intelligence artificielle ou IA).
La sapience de l’IA surpasse la sensibilité humaine. Le « grand découplage » entre la sensibilité (notre capacité à ressentir) et la sapience (notre capacité à raisonner) débouchera sur une technologie d’IA plus intelligente que les humains. Des algorithmes non conscients, mais très intelligents nous connaîtront mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes, et nous compterons de plus en plus sur les algorithmes de l’IA pour nous informer et nous guider dans la vie, l’amour et le travail.
Le dataïsme, néologisme qui vient du terme anglais « data » qui signifie « données », deviendra la nouvelle religion. La religion de l’humanisme sera remplacée par une nouvelle religion, le « dataïsme », à mesure que nous remplacerons la vision du monde centrée sur l’homme par une vision du monde centrée sur les données. Ayant déjà ses adeptes dans la Silicon Valley, le dataïsme célèbre la vie comme un traitement de données, les individus et les organisations comme des algorithmes, et la valeur d’une vie humaine en termes de capacité à transformer l’expérience en données. La formule de Yuval Harari : « les organismes sont des algorithmes » est le leitmotiv et le credo qui viennent supplanter la foi en un Créateur transcendant créant l’homme.
L’Internet des choses. Si l’humanité est en effet un système unique de traitement des données, alors il en résultera la création d’un nouveau système de traitement des données encore plus efficace, appelé l’Internet de toutes choses. Une fois cette mission accomplie, l’Homo sapiens disparaîtra.
La fin de l’humanité. La prochaine étape de l’évolution verra les humains passer du statut de simiens semi-évolués à celui de cyborg bionique, puis à celui d’information pure et, ce faisant, se libérer de leurs chaînes biologiques basées sur le carbone. Nous serons alors une nouvelle espèce d’êtres : nos corps, nos esprits et notre relation avec l’environnement et avec les outils mécaniques et technologiques seront transformés radicalement. Ces outils augmenteront nos capacités et nos connaissances et transformeront aussi notre nature humaine. Ils deviendront d’ailleurs partie intégrante de nos corps.
C’est là la vision de l’avenir de l’humanité de Yuval Harari qui est pour le moins décousue. Il ne parle pas d’Homo spatius dans son livre, mais l’idée que la nouvelle créature évoluant à partir de l’homme soit, dans quelques centaines ou milliers d’années, non seulement un cyborg, mais également un être multiplanétaire, peut-être issu d’une fusion ou d’une copulation avec des extra-terrestres habitant d’autres mondes, rentrerait parfaitement dans sa vision évolutionniste.
Je veux le dire clairement : je ne partage en rien cette vision de l’avenir et de l’évolution de l’humanité qui est pour moi pure fantasmagorie. Pourquoi ? J’ai commencé par dire que le point de départ de la pensée de Harari, c’était son athéisme et sa foi dans le mythe de l’évolution créatrice. Pour lui, si « durant 4 milliards d’années », je le cite, « la sélection naturelle a bricolé et bidouillé ces corps, en sorte que nous sommes passés successivement des amibes aux reptiles, puis aux mammifères et aux Sapiens [2] », alors « il n’y a aucune raison de penser que Sapiens soit le dernier stade de cette évolution [3] ». Désormais, il suffit que l’homme aide l’évolution en mettant à profit le génie biologique, le génie cyborg et le génie des êtres non organiques : ainsi, « les bio-ingénieurs vont plutôt se saisir du vieux corps de Sapiens et en réécrire délibérément le code génétique, recâbler ses circuits cérébraux, modifier son équilibre biochimique, voire lui faire pousser des membres nouveaux. Ce faisant, ils vont créer des déités, qui pourraient bien être aussi différentes de nous, Sapiens, d’Homo erectus [4]. »
Le problème, c’est que l’évolution n’est rien de plus qu’un mythe qui, contrairement à ce qui nous est martelé depuis des décennies avec un dogmatisme qui n’admet aucune contestation ni débat scientifique ouvert aussi bien dans les milieux académiques que dans les médias, n’a jamais été prouvée par les faits. Les faits mêmes accumulés depuis plus de 150 ans, bien au contraire, nous racontent une tout autre histoire : si évolution il y a, elle a été non pas progressive, dans le sens du progrès, mais régressive, c’est-à-dire dans le sens de la dégénérescence.
Le problème de dégénérescence génomique provient du concept que le généticien de réputation internationale John Sanford, l’inventeur du canon à gènes, a appelé « l’entropie génétique » : les mutations délétères apparaissent à un rythme très élevé. La sélection naturelle ne peut éliminer que les plus mauvaises d’entre elles pendant que les autres s’accumulent, à l’image de la rouille sur une voiture. Des mutations bénéfiques sur d’autres sites du génome sont incapables de compenser cette érosion continue et systématique de l’information génétique, car les mutations bénéfiques sont beaucoup trop rares et beaucoup trop subtiles pour subsister à une érosion aussi systématique de l’information [5]. Ce phénomène est soigneusement documenté dans la littérature scientifique, notamment par Sanford et coll. (2013) et Montañez et coll. (2013) [6]. Il est très facile de détruire systématiquement de l’information, mais il est impossible de créer de l’information, sans l’intervention d’une intelligence. Ce problème anéantit la plausibilité et la possibilité d’une évolution progressive dans le passé de l’organisme unicellulaire le plus simple à l’homme, et neutralise tout espoir d’évolution future du génome entier.
Ma deuxième objection aux prédictions fort lyriques de Yuval Harari, mais dénuées de tout fondement factuel et scientifique repose sur le fait que ce dernier part d’une hypothèse qu’il accepte sans même en vérifier la valeur de vérité, à savoir que l’homme n’est que matière, et que sa nature est uniquement matérielle, d’où les efforts pour pirater l’homme au moyen d’algorithmes reproduisant des réactions physico-chimiques ou biochimiques. Il s’agit de matérialisme ontologique et de monisme adossé au physicalisme de la biologie évolutive. Mais la conscience, la conscience réflexive, le libre arbitre, le jugement moral, l’âme, la personnalité profonde de l’homme, ses souvenirs, ses émotions, son esprit ne sont pas réductibles à de simples phénomènes mécanistes, donc à des algorithmes. Et la pensée, en particulier, ne peut être assimilée ni au calcul ni aux algorithmes, aussi sophistiqués soient-ils ; l’intelligence humaine, notamment dans sa part de créativité et d’esprit critique, ne peut être ramenée à une intelligence informatique, qu’elle soit numérique ou symbolique. Dans ce cas, toutes les extrapolations que présente Harari s’évaporent et s’écroulent.
Ma troisième objection est d’ordre probabiliste et repose sur ce qu’Emile Borel a appelé « la loi unique du hasard » : un évènement remarquable de probabilité suffisamment faible ne se produit jamais dans des limites d’espace et de temps données, et il y a un seuil de probabilité en-dessous duquel un événement aléatoire peut être déclaré comme impossible – il ne s’est jamais produit ou ne se produira jamais dans aucun endroit de l’univers. Emile Borel situe ce seuil à 10–200, sachant que l’univers compte 1070 particules selon les estimations. Même en augmentant considérablement la durée et la taille de l’univers, ce seuil ne sera pas fondamentalement affecté. En 1972, dans son ouvrage magistral Hasard et certitude [7], qui a été écrit comme une réponse au Hasard et la Nécessité du biologiste et prix Nobel de physiologie ou médecine français Jacques Monod, paru en 1970, Georges Salet, Polytechnicien et professeur de mécanique dans plusieurs écoles d’ingénieurs, estimait que l’apparition d’un nouvel organe ou l’apparition d’une nouvelle fonction par des mutations avaient des probabilités des milliards de fois inférieures à ce fameux seuil. « En quelques dizaines de milliards d’années et dans une sphère contenant les galaxies les plus lointaines, il y a certitude qu’aucun événement remarquable de quelque nature que ce soit de probabilité inférieure à cette valeur n’a pu se produire [8]. » « Même en mobilisant toute la matière des centaines de milliards de galaxies qui peuplent l’univers pour en faire des gènes et en réalisant, puis en détruisant ceux-ci à la cadence fantastique de 1014 fois à la seconde, il faudrait quelque 10500 années pour réaliser tous les états possibles d’un gène d’importance moyenne, soit de 1000 paires de nucléotides [9]. » Lecomte de Noüy avait auparavant déjà calculé, en 1939, que, pour que le hasard ait eu le temps de former une seule macromolécule dissymétrique, il lui aurait fallu disposer de 10243 milliards d’années [10]. Ainsi, les probabilités d’apparition de la vie par des processus aléatoires naturels sont si infinitésimales – bien en-deçà du seuil d’impossibilité en termes probabilistes selon la loi unique du hasard d’Emile Borel – que l’on peut en déduire que la vie n’a jamais pu apparaître par un processus évolutif darwinien. C’est conscients de ce nœud probabiliste que des scientifiques athées comme Stephen Hawking se sont accrochés à des théories cosmologiques qui sortent du champ de la physique pour entrer dans le domaine de pures spéculations. Il suffit de postuler des « multivers », une quasi infinité d’univers comme le nôtre, et ainsi l’impossible devient possible dans le monde mental et irréel de ceux qui préfèrent se noyer dans l’illusion de la génération spontanée darwinienne au lieu de croire au miracle de la création, seul apanage d’un Créateur transcendant et tout-puissant :
« Dans cette approche, la naissance de l’Univers est un phénomène spontané qui explore tous les scénarios possibles. La plupart de ces scénarios correspondent à d’autres univers qui, bien que parfois similaires au nôtre, sont le plus souvent très différents [11]. »
Stephen Hawking.
« La création spontanée est la raison pour laquelle il existe quelque chose plutôt que rien, pourquoi l’Univers existe, pourquoi nous existons. Il n’est nul besoin d’invoquer Dieu pour qu’il allume la mèche et fasse naître l’Univers [12]. »
Stephen Hawking.
Cette objection m’amène à dire que, considérant par ailleurs que les preuves des conditions uniques favorables à la vie sur la Terre sont tellement accablantes, qu’il m’est bonnement impossible de croire que la vie ait pu émerger dans d’autres coins du cosmos. La question de la colonisation d’autres planètes dont les environnements sont hostiles à la vie humaine devient ainsi caduque, étant donné qu’imaginer des créatures cyborgs bioniques qui résulteraient de manipulations génétiques et du vivant biologique à souhait et suivant une plasticité libre, contre les limitations imposées par le Créateur et qui pourraient s’adapter à d’autres environnements relève d’une illusion dystopique.
Les prédictions de Yuval Harari ne sont ainsi rien de plus que des croyances. Yuval Harari et avec lui les transhumanistes les plus en vogue présentent sans complexe le transhumanisme comme la religion du futur. Il est intéressant à ce titre que Laurent Alexandre comme Yuval Harari emploient des expressions et termes à connotation très fortement religieuse, par exemple en clamant que, je cite de nouveau les propos de Yuval Harari tirés de son livre Homo deus : Une brève histoire de l’avenir :
«Et ayant sorti l’humanité de la brutalité des luttes pour la survie, nous allons chercher à hisser les hommes au rang de dieux, à transformer Homo sapiens en Homo deus [13].» (C’est moi qui souligne en gras.)
Yuval Harari.
Il poursuit, sur la même ligne, en arguant que le vide spirituel sera comblé par le « dataïsme », c’est-à-dire la religion des données, dont le postulat est que « l’univers consiste en un flux de données [14] », et que la valeur de chaque phénomène ou entité est déterminée par « sa contribution au traitement des données [15] ».
En fait, les idées de Yuval Harari développées et vulgarisées dans ses ouvrages dont Homo deus se résument à une seule idée maîtresse, une seule prémisse de départ sur laquelle va se construire toute sa pensée et de laquelle découlent toutes ses orientations idéologiques. Il n’hésite pas à marteler ce principe de base dans ses ouvrages, mais également et surtout dans ses conférences publiques.
Cette prémisse ou ce présupposé fondamental concerne la source d’autorité suprême et est le suivant : la source d’autorité ultime est passée aujourd’hui du ciel (il nomme Dieu, les dieux, le pape, les prêtres, rabbins et pasteurs et la Bible) à la terre, c’est-à-dire à l’homme. Il prône donc un humanisme radical et absolu où l’homme n’a plus à se référer à des commandements divins ni à des absolus extérieurs à lui-même, mais doit se prendre comme la seule norme, avec ses émotions et ses sentiments lui disant ce que sont le bien et le mal. C’est donc un subjectivisme relativiste absolutisé. Voilà donc son principe directeur qui fonde sa vision du monde et toute sa cosmologie. Il écrit dans son livre Homo deus :
« Les humains sont donc eux-mêmes la source de toute vérité [16]. »
Yuval Harari.
Toujours dans ce livre, il signale bien, dans le cas où le lecteur ne le saurait pas encore, que « l’humanisme est devenu la religion universelle dominante » (c’est moi qui souligne en gras). C’est précisément ce qui permettra la transmutation de cet humanisme en une nouvelle religion transhumaniste. Il ne s’agira que d’une évolution techniciste dans le pur prolongement logique et inéluctable de la vision transformiste.
À partir d’une telle prémisse dans laquelle Dieu a été exclu de sa vision du monde et de ses préoccupations, il est normal que Yuval Harari embrasse un autre dieu, puisqu’en réalité, est Dieu celui ou ce qui détient l’autorité suprême. L’homme devient donc Dieu. Il dit encore, en effet :
« Alors que les théistes adorent theos (« dieu », en grec), les humanistes adorent les humains. L’idée fondatrice des religions humanistes… est qu’Homo sapiens possède une essence unique et sacrée qui est la source de tout sens et de toute autorité dans l’univers [17]. » (C’est moi qui souligne en gras.)
Yuval Harari.
La fin du libre-arbitre, moteur de l’autonomie de l’individu, est également envisagée par l’historien, car l’humanité finira par se dissoudre dans un tout algorithmique interconnecté en réseau : « La technologie du XXIe siècle peut, elle, permettre à des algorithmes extérieurs de « pirater l’humanité » et de me connaître bien mieux que je ne me connais. À compter de ce jour, la croyance en l’individualisme s’effondrera et l’autorité sera transférée des individus aux algorithmes en réseau [18]. » Dans un tel univers, « les individus ne se verront plus comme des êtres autonomes qui mènent leur vie comme ils l’entendent, mais s’habitueront à se voir comme un assemblage de mécanismes biochimiques constamment surveillé et guidé par un réseau d’algorithmes électroniques [19]. »
En d’autres termes, nous venons de le voir, ce qu’envisage Yuval Harari n’est rien de plus, rien de moins qu’un ersatz de nouvelle religion entièrement anthropo et techno-centrée, c’est-à-dire centrée sur l’homme augmenté par la technologie, se transcendant au-dessus de sa propre condition biologique mortelle, pour atteindre à l’immortalité, à la toute-puissance. C’est une religion qui va au-delà des religions traditionnelles, mais qui en reprend certains concepts. En effet, alors que dans le christianisme, Dieu est le Créateur omnipotent, qui crée librement l’univers ex nihilo par Sa Parole – les fameux fiat créateurs de la Genèse –, dans la vision transhumaniste de Yuval Harari, les attributs de la divinité sont transférés à l’information : intelligence et auto-assemblage par le flux des données, génération de la conscience dans la machine par l’intelligence artificielle.
Il est significatif que notre philosophe français, Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation nationale, de la même manière, emploie également des vocables religieux dans son livre L’homme-Dieu ou Le Sens de la vie [20], en parlant d’humanisme spiritualiste, d’humanisme transcendantal, voire d’homme-Dieu, signe qu’il n’est pas possible de supprimer la transcendance et la référence à Dieu. En quelque sorte, avec le transhumanisme, nous parvenons à un oxymore des plus surprenants où il est question maintenant de technologisme transcendantal, ce qui confère bien au transhumanisme un statut de religion sous un habillage pseudoscientifique.
Si vous me demandez maintenant ce que je pense de la place d’une telle religion transhumaniste, notamment si je pense qu’elle va éclipser les autres religions traditionnelles qui devront s’adapter ou disparaître, voici ce que je vous dirai.
La prétention de croire que la raison est autonome, c’est-à-dire détachée d’un Dieu créateur et qu’elle se suffit à elle-même et n’a pas besoin de Dieu n’est pas nouvelle ; ces prémisses qui sont de nature ontologique et qui, dans le cas du transhumanisme, postulent qu’en dehors de la matière il n’y a rien, sont associées à la conviction que les religions traditionnelles, en particulier le judéo-christianisme, ne subsisteront pas à la vague déferlante de la puissance de la raison humaine et aux progrès engendrés par la science qui anéantiront à jamais les croyances puériles et folles du christianisme.
Il convient de se rappeler, par exemple, que c’est Voltaire, philosophe des Lumières, qui écrivait en 1764 dans le Dictionnaire philosophique :
« La Bible, c’est ce que les fous ont écrit, ce que les imbéciles recommandent, ce que les voyous enseignent et ce que les jeunes enfants sont obligés d’apprendre par cœur [21]. »
Voltaire.
Et il évoquait déjà la fin du christianisme : « Nous vivons dans le crépuscule du christianisme », écrivait-il. Il pousse même la hardiesse jusqu’à faire cette prédiction très insolite en 1776, prédiction qui restera dans les annales de l’histoire :
« Le sujet est maintenant épuisé : la cause est décidée pour ceux qui sont prêts à se servir de leur raison et de leurs lumières, et les gens ne liront plus cette [Bible] [22]. »
Voltaire.
Ce cri de triomphe contre le christianisme a eu un écho chez le philosophe nihiliste allemand Friedrich Nietzche qui dira en 1882 dans le Gai Savoir [23] que « Dieu est mort ». Que voulait-il dire par là ? Pour Nietzsche, le nihilisme qui se répandait à son époque signifiait que les « valeurs supérieures traditionnelles » (la conception traditionnelle du couple et de la famille, le beau, le bon, le juste, le but de l’existence, etc.) se dépréciaient et s’effritaient. Si ces « valeurs supérieures traditionnelles » commençaient à s’effriter, c’était que le fondement, Dieu, commençait à s’affaisser. L’affaissement de ce fondement suprême entraînant la dévaluation de toutes les autres grandes valeurs traditionnelles, c’était ce que Nietzsche appelait « la mort de Dieu ». La conséquence de cette « mort de Dieu », c’était une désorientation extrême, dans la mesure où cette perte du fondement sur lequel s’était érigée pendant quinze siècles la civilisation occidentale touchait tout autant la morale, que l’esthétique et la science.
D’autres hérauts de la mort de Dieu ont suivi, je pense notamment, bien évidemment, au naturaliste Charles Darwin dont l’ouvrage L’origine des espèces publié en 1859 a permis à sa théorie de l’évolution d’occuper, depuis lors, une place maîtresse dans la pensée scientifique et dans la culture, et grâce auquel le professeur athée d’Oxford Richard Dawkins a pu dire que «Darwin a rendu possible le fait d’être un athée intellectuellement accompli [24]. »
Face à toutes ces prédictions sur la mort de Dieu et du christianisme, voyons maintenant la réalité.
– Cinquante-huit ans seulement après sa mort, l’ancienne maison de Voltaire à Genève, en Suisse, est devenue un dépôt de bibles et de traités évangéliques. Henri Tronchin, président de la Société évangélique de Genève, y résidait et utilisait une partie des pièces pour entreposer les bibles [25]. Ironie de l’histoire, ironie de Dieu face à un moqueur orgueilleux !
– L’ancienne Union soviétique communiste et athée s’est effondrée, et avec elle l’athéisme a laissé place à la religion orthodoxe qui a repris ses couleurs plus que jamais. Les gens en avaient assez d’un athéisme étouffant qui ne donne pas de sens à la vie.
– En Chine, l’athéisme d’Etat enrobé de l’idéologie communiste persécute férocement l’Eglise chrétienne non alignée depuis plusieurs décennies, mais la croissance de l’Eglise est phénoménale : l’on dénombre entre 60 et 80 millions de chrétiens en Chine actuellement, et l’on estime qu’à l’horizon de 2030 le pays atteindra 300 millions de chrétiens, devenant ainsi le plus grand pays chrétien du monde.
Tout cela laisse présager avec certitude que la religion du dataïsme que vante tant Yuval Harari subira le même sort que ces ennemis de l’Évangile.
C’est l’universitaire américain, Phillip Jenkins, professeur d’histoire et directeur du programme d’études historiques sur la religion de l’université de Baylor aux Etats-Unis, qui a donné une analyse très percutante dans son livre The Next Christendom: The Coming of Global Christianity [26]. Voici ses observations : la croissance de l’Eglise est la plus forte dans le monde dans les endroits où le christianisme a conservé ses doctrines historiques, alors qu’en Occident, ce sont les églises libérales – lesquelles abandonnent les croyances traditionnelles et cherchent à s’adapter à la science notamment, en rejetant les miracles – qui périclitent. Je prédis que face à la vague transhumaniste il se produira exactement la même chose. Loin de disparaître, les églises qui resteront attachées aux doctrines fondamentales du christianisme connaîtront une forte croissance, alors que les églises libérales qui absorberont le transhumanisme se videront toujours plus. Et je dirai même que le vide spirituel dans l’Occident fortement sécularisé amènera une telle décadence et une telle désespérance qu’au moment où l’on s’y attendra le moins, le christianisme historique renaîtra de ses cendres.
Notes
[1] HARARI, Yuval. Homo Deus : Une brève histoire de l’avenir. Paris : Albin Michel, 2017. 462 p.
[2] Ibid., p. 49.
[3] Ibid., p. 49.
[4] Ibid., pp. 49-50.
[5] SANFORD, John. L’entropie génétique et le mystère du génome. Le Séquestre : Editions La Lumière, 2019. 1ère édition. 264 pages.
[6] MONTAÑEZ, G., MARKS, R., FERNANDEZ, J. et SANFORD, J. C (2013). Multiple overlapping genetic codes profoundly reduce the probability of beneficial mutation. Dans : Marks II, R. J. et coll., (éditeurs). Biological Information – New Perspectives. Proceedings of the Symposium, Cornell University, États-Unis, 31 mai – 3 juin 2011. 584 p. (pp. 139-167). https://doi.org/10.1142/8818. Disponible à l’adresse :
http://www.worldscientific.com/doi/pdf/10.1142/9789814508728_0006.
SANFORD, J. C., BAUMGARDNER, J. et BREWER, W. (2013). Selection Threshold Severely Constrains Capture of Beneficial Mutations, dans : Marks II, R. J. et coll. (éditeurs). Biological Information – New Perspectives. Proceedings of the Symposium, Cornell University, États-Unis, 31 mai – 3 juin 2011. 584 p. (pp. 264-297). https://doi.org/10.1142/8818. Disponible à l’adresse :
http:// www.worldscientific.com/doi/pdf/10.1142/9789814508728_0011.
[7] SALET, Georges. Hasard et Certitude. Le transformisme devant la biologie actuelle. Bonchamp-lès-Laval : Téqui, 2003. 504 p. Publié originellement aux Éditions scientifiques Saint-Edme, 1972.
[8] Ibid., p. 99.
[9] Ibid., p. 223.
[10] Voir notamment RAFFARD DE BRIENNE, Daniel. Pour en finir avec l’évolution ou la faillite des théories évolutionnistes. Paris : Perrin & Perrin, 1998. 154 p.
[11] HAWKING, Stephen et MLODINOW, Leonard. Y a-t-il un grand architecte dans l’Univers ? Paris : Odile Jacob, 2011. 167 p. Page 123.
[12] Ibid., p. 160.
[13] Ibid., p. 460.
[14] Ibid., p. 397.
[15] Ibid., p. 397.
[16] Ibid., p. 356.
[17] Ibid., p. 109.
[18] Ibid., p. 356.
[19] Ibid., p. 356.
[20] FERRY, Luc. L’homme-Dieu ou le sens de la vie. Paris : Grasset, 1997. 192 pages.
[21] Cité dans MERRITT, Daniel. La prédiction de Voltaire, sa maison et la Société Biblique : vérité ou mythe ? Traduction française de l’article : MERRITT, Daniel. Voltaire’s Prediction, Home, and the Bible Society: Truth or Myth? 18 mars 2019 [consulté le 15 mai 2023]. Disponible à l’adresse : https://bibleetsciencediffusion.org/index.php/2020/08/18/la-prediction-de-voltaire-la-maison-et-la-societe-biblique-verite-ou-mythe/.
[22] Voltaire, La Bible enfin expliquée. Londres, 1776 ; également ; PARTON, James. Life of Voltaire, Vol. II. Boston : Houghton, Mifflin & Co, 1881, p. 543. Cité dans ibid.
[23] NIETZSCHE, Friedrich. Le Gai Savoir. Traduction de « Die Fröhliche Wissenshaft (La Gaya Scienza )» (édition 1887) par Henri Albert. Edition électronique v. 1.0 : Les Échos du Maquis, 2011.
[24] DAWKINS, Richard. The Blind Watchmaker. New York: Norton, 1986, p. 6. “Although atheism might have been logically tenable before Darwin, Darwin made it possible to be an intellectually fulfilled atheist.” Soit en français : « Bien que l’athéisme ait pu être logiquement défendable avant Darwin, Darwin a rendu possible le fait d’être un athée intellectuellement accompli. »
[25] MERRITT, Daniel. La prédiction de Voltaire, sa maison et la Société Biblique : vérité ou mythe ? Traduction française de l’article : MERRITT, Daniel. Voltaire’s Prediction, Home, and the Bible Society: Truth or Myth? 18 mars 2019 [consulté le 15 mai 2023]. Disponible à l’adresse : https://bibleetsciencediffusion.org/index.php/2020/08/18/la-prediction-de-voltaire-la-maison-et-la-societe-biblique-verite-ou-mythe/.
[26] JENKINS, Philip. The Next Christendom: The Coming of Global Christianity. Oxford : Oxford University Press, 2002. https://doi.org/10.1093/0195146166.001.0001.
A propos de Yuval HARARI
Yuval Noah Harari est docteur en histoire, diplômé de l’Université d’Oxford. Aujourd’hui, il enseigne dans le département d’Histoire de l’université hébraïque de Jérusalem et a remporté le « prix Polonsky pour la Créativité et l’Originalité » en 2009 et en 2012. Ses ouvrages Sapiens, Homo Deus et 21 leçons pour le XXIe siècle sont des phénomènes internationaux qui cumulent 25 millions de ventes dans 50 pays. Il joue un rôle majeur au sein du Forum économique mondial, puisqu’il en est le conseiller principal.