Articles,  Ethique,  Santé publique,  Science

CTIAP* Centre Hospitalier de Cholet: Vaccin contre la Covid-19 : « des milliers d’années de recul » ?

Par le Dr Amine UMLIL
« On a énormément de recul. On a des milliers d’années de recul sur ce vaccin en fait. Quand on additionne en quelque sorte le temps de chaque personne qui a été vaccinée. » 

Telle est l’affirmation, concernant le vaccin contre la Covid-19, qui est soutenue par un médecin dans les médias.

Suite à cette affirmation, une autre information est portée à la connaissance du CTIAP (Centre territorial d’information indépendante et d’avis pharmaceutiques) du centre hospitalier de Cholet : une épidémiologiste, elle aussi médiatisée, semble venir au soutien de ce médecin. L’avis du CTIAP est sollicité sur ce que ce médecin et cette épidémiologiste ont soutenu. Cette épidémiologiste écrit ceci :

« La notion de personnes-années est utilisée dans les études épidémiologiques.

On calcule les ʺpersonnes-annéesʺ comme ceci : si 15 personnes ont participé à une étude pendant 20 ans, on a 300 personnes-années (15×20). Ainsi, chaque personne compte pour sa durée de suivi, une personne suivi[e] 6 mois compte pour 0,5 et une personne suivie 2 ans compte pour 2. On décrit ainsi le nombre total de personnes années dans l’étude. Dans le cadre des vaccins contre le SARS-COV-2 [Covid-19], si on additionne le suivi de toutes les personnes vaccinées on a donc bien des millions de personnes années. On peut donc avoir des millions de personnes-années alors même que chaque personne n’est suivie qu’un temps limité. »

Une telle notion de « personnes-années » pourrait relever d’une fiction scientifique qui témoigne du décalage entre la réalité et les dérives de certains raisonnements. Elle ne saurait prospérer dans le domaine concernant l’évaluation notamment clinique d’un médicament (vaccin ou autre). Elle semble supposer que les personnes humaines sont toutes identiques, qu’elles réagissent toutes de la même manière face à un médicament. Elle semble nier l’existence des facteurs de risque propres à chaque individu. Elle semble ignorer la réalité des effets indésirables notamment imprévisibles, et en particulier ceux à moyen et à long termes. Elle est contredite par les enseignements dispensés par l’histoire des médicaments.

Cette notion de « personnes-années » ne semble pas avoir été évoquée, non plus, par les autorités ad hoc. Concernant par exemple le vaccin contre la Covid-19 des laboratoires BioNTech/Pfizer, le 24 décembre 2020, la Haute autorité de santé (HAS) constate que les résultats des essais cliniques « ont un recul de 1,5 mois » seulement. C’est la durée d’évaluation en « mois », et non pas en « personnes-années », qui est utilisée en pareilles circonstances. De même et pour ne citer qu’un autre exemple, le 23 juillet 2021 dans un message publié sur le réseau social Twitter, le journal Le Parisien révèle ce que le ministre des solidarités et de la santé, Monsieur Olivier VÉRAN, aurait affirmé à ce journal : « Si les effets secondaires [indésirables] n’apparaissent pas après 2 à 6 mois d’utilisation, il n’y a pratiquement aucun risque qu’ils surviennent plus tard. Il n’y a aucun risque d’infertilité ». Au-delà de la discussion sur le caractère exact ou non d’une telle affirmation du ministre, là encore c’est la durée d’évaluation en « mois », et non en « personnes-années », qui est utilisée. Un troisième exemple est livré par la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain ; selon cette directive, le « laps de temps nécessaire pour démontrer que l’usage médical d’un composant d’un médicament est bien établi ne peut cependant pas être inférieur à dix ans comptés à partir de la première application systématique et documentée de cette substance en tant que médicament à l’intérieur de la Communauté ». L’unité de mesure est donc le « mois », l’« année », et non pas ladite « personne-année ». D’autres exemples sont disponibles.

Même les médicaments, qui bénéficient d’une durée d’évaluation de plusieurs années dans le cadre des essais pré-cliniques (chez l’animal) et cliniques (chez l’homme) avant leur commercialisation et eu égard aux limites qualitatives et quantitatives de ces essais qui précédent l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), doivent toujours être considérés comme insuffisamment évalués au moment de leur commercialisation. Et c’est ce qui a toujours été enseigné dans des facultés, dans des centres hospitaliers universitaires (CHU), dans des centres régionaux de pharmacovigilances (CRPV) notamment.

Ladite histoire des médicaments précitée nous rappelle que la surveillance, après commercialisation du médicament, doit concerner aussi bien les récents que les anciens produits. Trois exemples extrêmes permettent d’illustrer ces faits : la tolcapone (TASMAR®) a été suspendue du marché deux mois seulement après sa commercialisation en 1998, à cause d’hépatites fulminantes fatales. L’amineptine (SURVECTOR®) a été retiré 21 ans après sa commercialisation en 1978 malgré des cas graves de pharmacodépendance observés depuis longtemps. Et, il a fallu 60 ans pour découvrir la néphrotoxicité (toxicité au niveau des reins) des fortes doses des analgésiques comme la phénacétine. On parle toujours en « mois », en« années »… et non en « personnes-années ». Si l’on suit le raisonnement de ce médecin et de cette épidémiologiste, le « recul » de ces médicaments serait alors de l’ordre de l’ʺannée-lumièreʺ.

Si vraiment cette notion de  « personnes-années » est pertinente, ses utilisateurs seraient en mesure de répondre sans difficulté aucune aux questions suivantes notamment (non exhaustives) : quels sont les risques à court, à moyen et à long termes pour les enfants qui ont été exposés in utero (pendant leur conception depuis la fécondation – ce qui concerne donc aussi bien la femme (mère) que l’homme (père) – et durant la grossesse) ? Pourraient-ils également rassurer les personnes concernées quant à l’absence de tout risque d’effets épigénétiques qui pourrait être transmis aux générations non exposées directement au vaccin contre la Covid-19 ? Pourraient-ils affirmer, avec certitude, que l’avenir ne sera pas concerné par des « filles vaccin contre la Covid-19 » et par des « fils vaccin contre la Covid-19 » comme cela s’est produit, par exemple, avec le diéthylstilbestrol (DES, DISTILBÈNE®) dont la prise pendant la grossesse a eu des effets nocifs durant des décennies et sur la descendance dont la « 3ème génération » ?

Faire croire à la population qu’un médicament (vaccin ou autre) a beaucoup – « des milliers, des millions… d’années de recul » – en convoquant des notions insaisissables par des personnes vulnérables, et inappropriées en l’espèce, ne peut que heurter l’exigence d’une information  « loyale, claire et appropriée » ; cette obligation d’information étant consacrée par la loi (au sens large). Une telle méthode est de nature à vicier le consentement des personnes. Elle est donc susceptible de porter atteinte à la dignité de la personne humaine. Or, de notre corpus juridique composé de textes nationaux (français), européens et internationaux contraignants tels que la Convention d’Oviedo et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, il ressort que « la dignité humaine est inviolable » et qu’« elle doit être respectée et protégée ».

Plus généralement, une discipline notamment scientifique qui ne répond pas aux attentes réelles des personnes humaines, qui ruse avec ses principes, qui refuse de voir les problèmes concrets et quotidiens des gens, qui s’écarte du bon sens… est une discipline décadente, atteinte, moribonde.

Source : http://ctiapchcholet.blogspot.com/2022/10/vaccin-contre-la-covid-19-des-milliers.html?m=1

Article reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.


A propos de l’auteur

Le Dr Amine UMLIL est docteur en pharmacie, praticien hospitalier, ancien interne des centres hospitaliers universitaires (CHU) de Toulouse, ancien étudiant à la faculté de pharmacie d’Angers. Il est titulaire de plusieurs autres diplômes universitaires. Il a publié dans différentes revues scientifiques et enseigné dans des instituts de formation en soins infirmiers. Il est responsable de la pharmacovigilance, de la coordination des vigilances sanitaires, et du centre territorial d’information indépendante et d’avis pharmaceutiques (CTIAP). Il est également titulaire d’une licence de droit et d’un master 2 en droit de la santé.

Responsabilités au centre hospitalier de Cholet

CTIAP :

  • Unité de pharmacovigilance
  • Coordination des vigilances sanitaires

Extrait du Curriculum vitae (C.V.)

Diplômes :

  • Master 2 Droit de la santé
  • Licence de droit
  • Diplôme d’études spécialisées de pharmacie industrielle et biomédicale
  • Diplôme d’Etat de docteur en pharmacie
  • Diplôme universitaire de gestion des entreprises
  • Diplôme universitaire de pathologie médico-chirurgicale
  • Diplôme universitaire de pharmacocinétique [science étudiant le devenir du médicament dans l’organisme]
  • Diplôme interuniversitaire d’antibiologie et autres traitements anti-infectieux
  • Diplôme interuniversitaire de statistique appliquée à la médecine, option biologie
  • Maîtrise de sciences biologiques et médicales
  • Certificat Informatique et Internet « C2i » niveau 1
  • pharmacie hospitalière de l’ouest]
  • Inter- and Intra-Patient Variability of Oxaliplatin Pharmacokinetics (American Society of Clinical Oncology, San Francisco, 2001)
  • Suivi des livraisons des dispositifs médicaux : expérience toulousaine (revue de l’ADPHSO, tome 23, n° 4, 1998 – pp. 1-11) [ADPHSO : Association pour le Développement de la Pharmacie Hospitalière du Sud-Ouest]
  • Suivi des non conformités sur la qualité des dispositifs médicaux à la CAMSP de Toulouse (8èmes journées Euro Pharmat, Paris, 13 et 14 octobre 1998) [CAMSP : Centrale d’Approvisionnement en Matériel Stérile et Pansements]
  • Le suivi des « réclamations clients » à la CAMSP de Toulouse : mise en œuvre, résultats et actions correctives (8èmes journées Euro Pharmat, Paris, 13 et 14 octobre 1998)
  • Expérience pratique de validation et contrôle de routine d’un stérilisateur à l’oxyde d’éthylène (20èmes journées nationales d’études sur la stérilisation dans les établissements de soins, Strasbourg, 22 et 23 avril 1998)
  • Mémoire du Master 2 Droit de la Santé : « Le circuit du médicament dans les établissements de santé français face aux articles 223-1 et 223-2 du code pénal. « Des risques causés à autrui » » (septembre 2019)
  • Livres sur le médicament « Médicament : recadrage. Sans ton pharmacien, t’es mort ! » (Collection sciences et savoirs. Éditions Les 2 Encres. Septembre 2013)
  • « Ce que devient le médicament dans le corps humain » (Collection Connaître le médicament. Tome 1. Éditions BoD. Juin 2016)
  • « L’équation hospitalière : de Robert Boulin à Marisol Touraine » (Éditions BoD. Octobre 2016)
  • « 20 000 ; Plaise au Président de la République Française » (Collection Connaître le médicament. Tome 2. Éditions BoD. Septembre 2017)
  • « Obstacles à la pharmacovigilance : Délinquance en col blanc ; Inertie des pouvoirs publics » (Collection Connaître le médicament. Tome 3. Éditions BoD. Décembre 2018).

Fournir une information scientifique objective et éclairée sur la crise sanitaire actuelle, sensibiliser aux enjeux sociétaux et politiques majeurs qui se profilent à l’horizon, alerter le public, rassembler les bonnes volontés et préparer l’avenir.