L’état d’urgence et le confinement sont anticonstitutionnels, selon le Tribunal constitutionnel d’Espagne.
Par Vigilance Pandémie
L’information est passée quasiment inaperçue en France. De ce côté-ci des Pyrénées, d’aucuns se sont gargarisés du feu vert donné par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat au projet de loi portant sur le pass sanitaire et l’obligation vaccinale pour certaines professions.
Remboursement des amendes pour non-respect du confinement
Le Tribunal constitutionnel d’Espagne a annulé le 14 juillet 2021 dernier les mesures les plus emblématiques prises dans le cadre de l’ « estado de alarma » par le gouvernement espagnol – littéralement « état d’alerte », un équivalent de l’état d’urgence français. La Haute juridiction, saisie par le parti de droite conservatrice Vox, a jugé anticonstitutionnelles, et suspend de fait et avec effet immédiat, un certain nombre de restrictions décidées dans le cadre de l' »état d’alerte » déclaré par le gouvernement depuis mars 2020.
Dans le détail, la décision rendue par le Tribunal, par cinq juges contre quatre, ne se prononce pas de façon absolue sur la proportionnalité des mesures, mais soulève, dans le cadre insuffisant de l' »état d’alerte », l’atteinte à trois droits fondamentaux :
- la libre circulation sur le territoire du Royaume,
- la liberté de réunion entre particuliers, notamment entre les membres d’une famille,
- et la « fijación de domicilio« , un concept juridique espagnol que l’on restitue difficilement en français (l’on peut le comprendre comme un droit à établir, à se fixer un domicile, un droit que la restriction de circulation met à mal, pour des citoyens souhaitant par exemple déménager, ou en déplacement en-dehors de chez eux).
Selon les juges constitutionnels, seul un « état d’exception » pourrait justifier une entorse à ces libertés. Un tel régime nécessite la convocation et l’aval du Parlement. Le premier confinement, fondé sur l’entrave à la circulation des personnes, a donc été inconstitutionnel. Les Espagnols pourront demander le remboursement des amendes données pendant cette période.
Les dirigeants de Vox, et, dans une moindre mesure, du parti de droite modérée PP (Partido Popular, une formation cousine des Républicains français) ont fait part de leur satisfaction quant à cette décision. La Ministre de la Justice du gouvernement socialiste de Pedro Sánchez a indiqué au contraire « respecter, mais regretter » le verdict.
La Catalogne lève à son tour les restrictions.
D’après l’IREF Europe, dans ce pays où chaque Communauté autonome, l’équivalent de nos régions françaises, dispose de marges étendues vis-à-vis de Madrid, une couche de contre-pouvoir supplémentaire est introduite par l’indépendance effective du pouvoir judiciaire. Le think-tank estime que les membres du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel en France, à cause de leur arrière-plan et parcours politiques, ne peuvent que faire preuve de carence en matière de « culture libérale » par rapport à leurs homologues ibériques, magistrats de profession.
Le jeudi 19 août dernier, le Tribunal supérieur de justice de Catalogne a fait suspendre le couvre-feu imposé par la Generalitat, le gouvernement catalan, dans 129 communes. La Cour a jugé que le couvre-feu ne répondait pas à un impératif sanitaire, mais que son principe se prêtait plutôt à des considération de sécurité et d’ordre publics. Une décision qui a déclenché la colère du gouvernement local, furieux que « les juges se prennent pour des épidémiologistes ».
Pourtant, ce vendredi 10 septembre, la Generalitat elle-même a suspendu l’interdiction des rassemblements de plus de dix personnes, mettant en avant l’amélioration de la situation sanitaire. Il est vrai que la Fête nationale catalane a lieu ce samedi 11 septembre et qu’il serait dommage pour les indépendantistes au pouvoir de la gâcher…
Pour aller plus loin
Pour comprendre la décision du Conseil constitutionnel français en faveur de l’extension du pass sanitaire, il est utile de consulter des études qui reconnaissent le manque d’indépendance de ce Conseil. À ce titre, l’article « L’indépendance du Conseil constitutionnel français en question » de Romain Espinosa, paru dans Les Cahiers de la Justice 2015/4 (n° 4), pp. 547-561, est particulièrement éclairant. Le Conseil constitutionnel français y est, par son processus de nomination, et par l’influence politique exercée par les institutions élues, largement critiqué pour son possible manque d’indépendance. L’auteur fait référence à son étude Constitutional Judicial Behavior: Exploring the Déterminants of the Decisions of the French Constitutional Council dans laquelle il conclut que le Conseil souffre en effet de sérieux manques d’indépendance. Il montre, d’une part, que des considérations idéologiques et politiques sont en jeu lors de la prise de décision (couleur de l’autorité qui a nommé les juges et/ou le président du Conseil) et, d’autre part, que le Conseil se restreint fortement dans ses décisions de censure. Ces deux conclusions mettent en cause l’indépendance du Conseil constitutionnel.