« En résumé, le gouvernement se flatte de laisser chacun consentir librement à la vaccination tout en transformant en parias ceux qui n’y consentiraient pas.
Une telle façon de procéder est odieuse, profondément perverse, et toute personne raisonnable ne peut que s’en offusquer et la combattre. Tout le reste est secondaire ».
René Chiche.
Par Éric de Rus
Dans le contexte actuel de la politique sanitaire menée par le gouvernement français contre la Covid- 19, et plus précisément à l’endroit de ce que l’on nomme « l’obligation vaccinale », la notion de non-consentement responsable aurait-elle une légitimité ? Autrement dit, dans quelle mesure une objection de la conscience face à l’injonction du pouvoir politique serait-elle ici fondée ?
En apparence, rien n’est moins évident si l’on en croit une certaine doxa qui désigne comme « irresponsables » les citoyens perplexes pour qui l’idée, non pas d’une préconisation vaccinale, mais d’une obligation vaccinale contre la Covid-19, est sujette à controverse.
Pourtant, plus d’un an après le début de cette crise sanitaire, nombre d’interrogations surgissent, persistent, voire s’avivent, témoignant qu’une situation qualifiée d’« urgence » ne saurait justifier en aucune manière la suspension du questionnement, condition essentielle de la formation du jugement et de la libre décision.
Sans viser à l’exhaustivité, et comme point de départ, nous pouvons pointer deux phénomènes qui interpellent immédiatement le sens commun.
Le premier phénomène concerne l’écart entre une mortalité relativement faible et la radicalité du discours officiel en faveur d’une vaccination massive de la population présentée comme l’unique solution, au point d’envisager des mesures fortement coercitives à l’encontre de celles et ceux qui ne voudraient pas, en conscience, s’y résoudre, puisque l’extension du pass sanitaire équivaut à contrôler la vie courante et à cliver les citoyens d’une même nation en leur réservant un traitement différent au regard de leurs droits respectifs selon qu’ils sont ou ne sont pas vaccinés.
Le second phénomène concerne la déconsidération entourant, dès le départ, les possibles thérapeutiques alternatives, notamment l’ivermectine, y compris pour les personnes ayant été infectées par la Covid-19, puis rétablies, et alors même que le risque d’une réinfection est très faible et celui de réitérer une forme sévère non avéré. Là encore, la vaccination est présentée comme la seule issue.
Sous la teneur factuelle de ces phénomènes, ce qui interroge c’est la primauté exclusive accordée à la vaccination contre la Covid-19 s’imposant comme une obligation. Cette interrogation oriente la réflexion vers la dimension problématique d’une telle politique sanitaire. En effet, qu’en est-il alors de l’exercice du libre consentement éclairé de la part des personnes se faisant vacciner ?
Le recours à des techniques inédites, et plus précisément l’inoculation de certains vaccins à ARN messager, relève bien de ce que l’on nomme une « expérience ». À ce titre, il est extrêmement problématique d’évincer la notion de « consentement volontaire » que le code de Nuremberg de 1947 nous a léguée en la posant comme un principe essentiel1. A fortiori, lorsque pour des vaccins les essais de phase 3 sont toujours en cours, il faut, comme le rappelle le règlement européen n°536/2014, que les personnes qui les reçoivent puissent exercer leur « consentement libre et éclairé2».
Mettre en avant « l’urgence sanitaire » ne suffit pas à lever la difficulté. Bien au contraire, puisqu’au cœur d’une telle urgence, et malgré la hâte qu’elle induit, certaines questions restent pendantes qui sollicitent avec force la réflexion et l’exercice du consentement volontaire du patient.
Par exemple, comment nier qu’en l’état actuel des choses le rapport entre les bénéfices escomptés et les risques encourus est très loin d’être cerné ? Les questions relatives au degré d’efficacité de ces vaccins, à leur innocuité à plus ou moins long terme, à leurs possibles effets iatrogènes, demeurent ouvertes. Ce ne sont pas là les seules questions, loin s’en faut3.
Faire comme si tout cela était insignifiant, ou pire allait de soi, jusqu’à priver par la contrainte les individus de leur droit à exercer légitimement leur consentement libre et éclairé en la matière, est très inquiétant.
En écrasant de la sorte, par une stratégie de mise au pas généralisée, l’exercice du consentement volontaire, la politique sanitaire en vigueur s’attaque à la sphère de l’intime, à cet espace intérieur qui est le foyer de l’écoute de la voix de la conscience et du libre choix. Or c’est bien à partir de son intériorité la plus profonde que chaque personne humaine, se distinguant ontologiquement de l’animal comme de la machine, peut réellement se déterminer. Empêchée dans sa capacité à se décider à partir du point le plus intérieur de sa conscience, la personne « ne vit pas sa vie pleinement. Elle n’est pas en mesure d’accueillir ce qui lui vient du dehors de la manière qui lui convient : il y a des choses qui ne peuvent être accueillies qu’à partir d’une certaine profondeur et qui ne peuvent recevoir de réponse convenable qu’à partir de là4.»
Un tel mépris de l’intériorité constitue une atteinte à la dignité inviolable de la personne humaine. Or ceci requiert notre plus haute vigilance, dans la mesure où nous ne savons hélas ! que trop bien à quel point la négation de la sphère intérieure de la liberté est liée à la dégradation de l’humain. Sur ce point, il est précieux de relire les analyses d’Hannah Arendt qui déchiffre l’emprise intérieure sur les individus comme le trait caractéristique de toute entreprise de « domination totale5 » de l’humanité en tant que « domination totalitaire6 », dont le but est de « rendre absolument problématiques et équivoques toutes les décisions de la conscience7. »
Cependant, la vigilance à l’égard de tout ce qui porte atteinte à l’intériorité de la personne humaine se double paradoxalement d’une profonde espérance. En effet, si l’intériorité humaine est ce sur quoi la contrainte de la domination totale prétend s’exercer, cette même intériorité constitue justement le point de résistance qui barre la route à la volonté de domination8. De sorte que c’est sur l’irréductibilité de cette même intériorité humaine que se fonde l’essence de la résistance spirituelle.
Dans cette perspective, parler d’un non-consentement responsable, c’est signifier essentiellement le refus légitime de donner son consentement à ce qui, par principe, en nie l’exercice et, ce faisant, représente une forme de violence infligée à l’être le plus intérieur de chaque personne humaine.
Par conséquent, et en résumé, l’attention accordée à la question cruciale du consentement libre et éclairé nous achemine au-delà de la seule question vaccinale. Car, n’en déplaise au matérialisme, in fine, ni la santé ni la vie ne sont en eux-mêmes un absolu, sans quoi il serait inenvisageable de les risquer, de les donner, voire de les perdre, au nom d’une valeur ou d’une cause supérieures. L’oublier, comme le rappelait Alexandre Soljénitsyne, c’est courir le risque de miser sur un prétendu développement de l’existence humaine « au détriment de l’ensemble de notre vie intérieure9 ».
En d’autres termes, le passage du phénomène au fondement nous découvre l’enjeu essentiel de cette crise sanitaire qui est de nature anthropologique.
Quelle vision de la personne humaine sommes nous prêts à servir, à défendre et à léguer ? À cette question nul n’a jamais pu se dérober durablement, en tant qu’elle lui fut toujours adressée, le moment venu, par les générations suivantes. Chaque existence humaine étant placée par l’histoire devant cette question, comme face à son horizon transcendant, a le devoir de l’affronter en décidant en conscience comment y répondre.
Notes
1 Voir § « 1. The voluntary consent of the human subject is absolutely essential. », in : Trials of war criminals before the Nuernberg [Nuremberg] military tribunals under Control Council law no. 10, vol. II, p. 181-184, U. S. Government Printing Office, Washington DC, 1949-1953
(consulté le 2.08.21). – « Le consentement volontaire du sujet humain est absolument essentiel. Cela veut dire que la personne intéressée doit jouir de capacité légale totale pour consentir: qu’elle doit être laissée libre de décider, sans intervention de quelque élément de force de fraude, de contrainte, de supercherie, de duperie ni d’autres formes de contraintes ou de coercition. Il faut aussi qu’elle soit suffisamment renseignée, et connaisse toute la portée de l’expérience pratiquée sur elle, afin d’être capable de mesurer l’effet de sa décision. Avant que le sujet expérimental accepte, il faut donc le renseigner exactement sur la nature, la durée et le but de l’expérience, ainsi que sur les méthodes et moyens employés, les dangers et les risques encourus ; et les conséquences pour sa santé ou sa personne, qui peuvent résulter de sa participation à cette expérience. L’obligation et la responsabilité d’apprécier les conditions dans lesquelles le sujet donne son consentement incombent à la personne qui prend l’initiative et la direction de ces expériences ou qui y travaille. Cette obligation et cette responsabilité s’attachent à cette personne, qui ne peut les transmettre à nulle autre sans être poursuivie. »
https://www.erasme.ulb.ac.be/fr/enseignement-recherche/comite-d-ethique/consensusethiques/le-code-de-nuremberg-1947 (consulté le 2 août 2021.)
2 « La dignité humaine et le droit à l’intégrité de la personne sont reconnus dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après dénommée « charte »). En particulier la charte prescrite qu’aucune intervention dans le cadre de la biologie et de la médecine ne peut être réalisée sans le consentement libre et éclairé de la personne concernée. » Règlement (UE) N°536/2014 du Parlement Européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/20/CE, § 27 (consulté le 2 août 2021.)
3 Nous laissons ici de côté la question complexe de l’élaboration de certains vaccins à partir de cellules de fœtus humains avortés, avec les problèmes éthiques que cela soulève, jusqu’au « non possumus » qui pourrait en résulter.
4 Edith STEIN, De la personne humaine. I Cours d’anthropologie philosophique, Paris, Ad Solem-Cerf,Carmel, 2012, p. 154.
5 « La domination totale, qui s’efforce d’organiser la pluralité et la différenciation infinies des êtres humains, comme si l’humanité entière ne formait qu’un seul individu, n’est possible que si tout le monde sans exception peut être réduit à une identité immuable de réactions : ainsi, chacun de ces ensembles de réactions peut à volonté être changé pour n’importe quel autre. » Hannah ARENDT, Les origines du totalitarisme. Le système totalitaire, Paris, Seuil, 1972, p. 173.
6 Ibid.
7 « Cette attaque contre la personne morale pouvait encore se heurter à l’opposition de l’homme auquel sa conscience dit qu’il vaut mieux mourir victime que vivre en bureaucrate du meurtre. La terreur totalitaire connut son suprême et terrifiant triomphe lorsqu’elle réussit à priver la personne morale de l’issue individualiste et à rendre absolument problématiques et équivoques toutes les décisions de la conscience. » Ibid., p. 191-192.
8 Hannah ARENDT suggère « que cet aspect de la personne humaine […] est le plus difficile à détruire (détruit, il est aussi celui qui se reconstitue le plus aisément). » Ibid., p. 193.
9 Alexandre SOLJENITSYNE, Le déclin du courage, Paris, Les Belles Lettres / Fayard, 2014, p. 64.
A propos de l’auteur
Éric de Rus, né en 1970, agrégé et docteur en philosophie, est professeur agrégé de philosophie spécialiste de la pensée d’Edith Stein, et enseigne au Centre Madeleine-Daniélou, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine.) Il est également poète. Il est l’auteur de publications sur Édith Stein, sur la démarche artistique et la quête spirituelle, ainsi que de plusieurs recueils de poésie déjà primés. Il est l’auteur notamment, aux éditions Ad Solem, des recueils Le Cœur épousé (2012) et Vivre en incandescence (2014). Plus récemment, il a publié Prêter voix. Un chemin de création à l’école d’Edith Stein (Saint-Léger Éditions.)
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